La tête dans ses genoux, Lâmia se réveilla à l'ombre du vieux chêne. Recherchant dans sa mémoire ce qu'elle faisait là à cette heure (quand le soleil semble se cacher derrière la mosquée trop fine por répondre à son attente) elle devrait travailler. Voyant près d'elle le livre de son grand père, Ba Momo, Lâmia se souvint qu'elle sétait assise ici pour le contempler alors que la plus belle des astres tapait de ses fouets qui irritent la gorge et les lèvres et tintent les peaux trop tendres de rouge. Ba Momo lui avait parlé la veille. Il avait expliqué qu'il avait atteind un âge où il ne faut pas se rapprocher d'avantage de ceux qu'on aime. Lâmia n'avait pas tout à fait saisi le sens de son message.
- Salam!!!
- Abdou, as tu vendu beucoup de fleurs? s'inquièta Lâmia en oubliant de répondre à son salut.
- Les touristes se font rares...Et puis, on est presque au mois de Ramadan, alors, tu sais...
- Alors on peut se laisser mourir de faim?
- J'ai pas dit ça!
- Le prophète a dispensé les malades du Ramadan et Ba Momo ne survivrait pas au jeûne.
Abdou baissa les yeux. Jamais il n'avait voulu voire que ceux qu'il aimait n'étaient pas éternels.
Lâmia ressenti un sentiment de remord l'envahir. Elle ramassa un bleuet tombé du livre où elle le faisait sécher et le tendit à celui qu'elle considérait comme un frère. Il n'était pas trop tard pour tenter l'impossible...
Le soleil était maintenant voilé d'un tissu rosé. La poussière toujours en mouvement à quelques centimètres au dessus dans la journée était désormais posé comme un seul drap sur les routes désertées. Abdou fit les comptes des piecettes qu'il avait amassé au cours de cette fin d'après midi. Il avait vendu deux bouquets et donc gagné huit dirhams. De quoi acheter du pain de campagne. Il allait rejoindre Lâmia qui faisait la manche devant la synagogue. Lui, préferait vendre ce qu'elle avait cueilli le matinà la mosquée. Comme les clients étaient rares, il priait, entre deux affaires. Dans un soupir, il se releva.
- Tiens, mon garçon...
Un homme qu'il reconnu aussitôt lui tendait un billet de cent dirhams. Interloqué, Abdou ne bougea pas, comme figé. Si ce qu'il voyait à cet instant n'était pas une illusion, alors il savait ce qu'il ferait d'une telle somme.
Le rabbin, fronça les sourcils, se demandant si tout allait bien dans la tête de ce petit musulman. Abdou s'en rendit compte et sortit de sa rêverie.
-Non, je ne peux pas accépter autant d'argent, c'est...c'est trop de résponsabilité.
-J'insiste...
-Je peux vous poser une question saïdi?
-Bien entendu.
-Pourquoi?Pourquoi voulez vous me donner cet argent, à moi, un petit mendiant de ville?
Le rabbin sourit légerement, baissa les yeux et chuchota comme pour lui dire un secret.
-Tu es entré dans la mosquée cinq fois dans la journée et tu as prié avec beaucoup de sincérité, ça se voyait sur ton visage. Un garçon aussi pieux que toi ne devrait pas avoir l'estomac noué toute sa vie. Cent dirhams, c'est trop peu pour ne plus avoir faim de ta vie, mais tu parrais costaud; avec cet argent, j'attends de toi que tu achètes des vêtements correctes et que tu trouves un travail. Beaucoup de gens cherchent un... Que sais tu faire?
-J'aime bien faire des bouquets de fleurs. Parfois, il m'arrive d'en vendre, mais seulement le matin, après, je mendi et je teste la bonté des gens.
-Et bien, si tu aimes les plantes cherche un travail de jardinier.
-Je sais couper les fleurs, mais je ne m'en suis jamais occupé...
-Lorsque l'ange Gabrielle a dit au prophète de lire, il ne savait pas le faire et pourtant, il a obéit. Tu as l'air très intelligent, tu apprendras vite.
«Allah, kbarr!!!» La voix du muezzin retentit dans la ville. Le rabbin prit la main d'Abdou, l'ouvrit et y posa le billet avant de se détourner sur un:
-On m'appelle.
Abdou se releva.
-Moi aussi, on m'appelle.
-Va te reposer, mon petit. Tu as déjà prié le nombre de fois imposé par le Saint Coran. Il se retrouva seul. Il fixa longuement le visage du roi Mohammed VI sur ce billet avant d'exploser enfin de joie. Il sera jardinier, il sauvera Ba Momo et Lâmia. Ses yeux montèrent aux ciel azur et il murmura plein d'amour:
"Merci, Allah! Merci!"
Si seulement, il avait su, à cet instant, que tout ne serait pas si facile.